L'arbre de chance

 

 


Le forestier matinal est revenu sur ses pas pour observer de plus près ce qu'il a cru discerner : deux paires de chaussures aux semelles crantées, coincées la pointe en l'air dans une étroite fissure, à la base d'un énorme bloc de grès : des campeurs un peu espiègles les auront encastrées là pour les sécher...Le hic, c'est que dans les chaussures, il y a des pieds, et après les pieds, des jambes...


" Je ne crois pas au fatum ", disait mon grand-oncle, un brin naturaliste. " Rien n'est écrit, tu es libre de ta décision, à chaque instant, de bifurquer, à droite ou bien à gauche ; mais tu ignores ce qui t'attend, si tu prends à gauche, plutôt qu'à droite, ou l'inverse... " Et de m'abreuver de ses apologues de prédilection, comme celui de la chenille gravissant un chêne, sessile ou pédonculé, peu importe ; ou peut-être un bouleau pubescent, ou un robuste châtaignier. Était-ce une chenille de zeuzère, de morio, ou de zygène ? Je parierais pour un bombyx. La petite chenille, partie d'un cespiteux bouquet d'hypholomes couleur de brique, entreprend un long voyage vers l'azur, et chaque ramification lui propose un dilemme : rencontrera-t-elle les bostryches ou les scolytes fossoyeurs de bois, prendra-t-elle des phasmes, arc-boutés sur leurs six pattes grêles, pour des brindilles, ne croisera-t-elle pas l'ammophile attachée à sa perte, ou l'épeiche ravie de cette aubaine gastronomique ? Parfois, la fin du trajet, c'est l'acmé, l'apex, l'apothéose ; d'autres fois, ce sont les folioles les plus rapprochées qui dissimulent mal sa déconfiture...


Je me prenais à méditer sur le sort de ces néophytes, qui avaient choisi pour abriter leur sommeil l'unique rocher, sur les dix mille que la forêt recèle, figés depuis des millénaires, que sa complexion avait fait s'affaler justement cette nuit-là. Peut-être ont-ils été la cible de quelque goétie fomentée par un chaman (shaman) fumeux, d'une jettatura d'un autre siècle. Mais combien d'êtres immolés au trafic seraient encore en vie, s'ils étaient seulement partis plus tard, ou plus tôt, ou s'ils avaient pris une autre route ?


Notre libre arbitre est ce qui nous sauve, ou ce qui nous perd, et ce ne sont ni les sages préceptes de cindynique, ni les prescriptions généthliaques de la pythie de service qui obéreront nos choix, que ce soit pour élire un cru millésimé, ou pour manquer un avion qui prendra feu. Nous sommes tous des bombyx en vadrouille, et notre bonheur est que chacun de nous ait son verre à soi et son lit dans cocon douillet. Mon grand-oncle, lui, dort depuis longtemps. Mais je vais quand même, moi qui suis un Gémeaux, jeter un œil à mon horoscope, et qui sait, tâter d'une ou deux mancies, car...on ne sait jamais !

 

Michel Courot
Dico d'or 1995

Fête du livre de Saint-Étienne 2004

Test


Ni les hiérophantes, ni les corybantes, ni les sibylles, et pas la moindre pythonisse, ni le vol des alcyons, ni les chênes de Dodone, pas le plus affété des thaumaturges, ni le mieux affûté des accros de la typtologie : rien ni personne n'a fait que je n'acquisse plus qu'une chance sur treize millions neuf cent quatre-vingt-trois mille huit cent seize de gagner au Loto !