Charleroi, mes amours envolés (envolées)

(Médecins sans frontières - Charleroi - 2 mars 1996)

 

Charleroi, mes amours envolés (envolées)

 

Quelque lointains que nous paraissent ces souvenirs, quelques nombreuses pérégrinations que nous ayons connues depuis, nous ne t'avons jamais oubliée, ô cité de notre prime jeunesse.
À l'époque, la "vieille Sambre" comme d'aucuns l'appelaient, parcourait encore la ville, en contrebas de la rue de la Montagne, en pleine liberté et indépendance, zigzaguant entre des rives verdoyantes étoilées de fleurs versicolores. Les coquelicots incarnats s'y mêlaient aux églantines nacarat, aux matthioles ponceau et aux boutons-d'argent aux nuances perle nacrée. Les jaunes pâles des éclaires, appelées aussi chélidoines, y voisinaient avec les roses bonbon des cymbalaires. Au fil des jours, son cours paisible conservait inchangés la sérénité et le calme que troublaient à peine, par intermittence, les frémissements d'aile(s) d'une hirondelle ou d'un martin-pêcheur qui volai(en)t au ras de son onde. Il n'était guère de riverain qui, semble-t-il, n'appréciât ce havre champêtre au sein de la cité.


En effet, quel contraste saisissant formait ce provincial éden avec l'âpre mais grandiose réalité du "Pays noir" ! Les traînées fuligineuses émanant des cheminées d'usines et les éruptions rubescentes des hauts-fourneaux (hauts fourneaux) formaient des dessins coïncidents qui traçaient sur l'horizon le reflet d'un univers dantesque. Les terrils (terris) telles (tels) de sombres menaces ceignaient la ville de leurs tumuli de mâchefer.


Il y a cinquante ans et quelques, des drapeaux vert, blanc, rouge s'étaient déployés sur les corons. Bons premiers parmi les travailleurs émigrés étaient arrivés ces Italiens qui avaient plié bagage et quitté leurs cieux cléments pour s'en venir nourrir le gouffre béant des mines auxquelles tant d'entre eux ont payé un si lourd tribut. Aujourd'hui, ils sont tellement acculturés qu'ils se voient ressentis comme presque plus belges que les Belges "grand teint" quoi qu'ils aient gardé de chaleureux dans leur(s) façon(s) d'être.


À l'époque, les trams brimbalant vers les faubourgs charriaient des flopées de mineurs surgis tels quels des abîmes du sous-sol. On n'avait qu'à regarder ces hommes courbatus, à la face dure et lasse marquée de sillons noir d'encre, les yeux bordés de traits de couleur bleu foncé, mais toujours dignes et fiers, pour deviner quelle était leur vie quotidienne. Pas question alors des trois-huit ou des mi-temps. Trois quarts d'entre eux souffraient de silicose due au poussier.
Quelquefois, tout à coup, des anicroches mal vécues ou des arias accumulés mettaient le feu aux poudres. La violence se déchaînait, les pavés volaient, les volets se baissaient devant les cortèges houleux confluant continûment vers la Maison du Peuple en scandant leurs credo(s) sociaux, maintes fois, hélas, mort-nés. Puis tout recommençait comme avant.


Des entrailles des houillères, sillonnées d'albraques et de bowettes, les "gueules noires", sous l'égide de chefs porions, arrachaient le tout-venant qui se muerait en gaillettes, coke, boghead ou noir anthracite. Les hercheuses (herscheuses), ahanant, poussaient les lourdes berlines vers les locomotives haut le pied sur les voies qu'entretenaient de hâves galibots accompagnés d'étiques haridelles.

 

Dans les usines, après que le bocardage eut broyé les minerais avec des marteaux-pilons et les eut transformés en schlich ou en speiss, venait la transmutation en métaux façonnés ou en alliages selon des processus divers : forgeage à chaud par corroyage, agglomération des poudres par frittage, procédé bessemer ou encore puddlage, matriçage et remmoulage, toute cette symphonie de la métallurgie rythmait, en ces temps de prospérité là, les jours et les saisons. Fer-blanc, monel, bloom, packfung (pacfung) concouraient partout dans le monde à la renommée de l'industrie wallonne comme déjà, dès l'Antiquité, l'avait fait l'orichalque façonné en Gaule Belgique.


La crise de la métallurgie, concomitante de la récession économique, a conditionné l'abandon progressif de ces sites fameux. LL.MM., les condottieres de la finance et de la politique ont ainsi laissé aller à vau-l'eau ces fleurons de notre région.


Quelle tristesse de traverser désormais ces no man's land où doivent errer les ombres fantomatiques des mineurs et des métallos et de subir ce morne silence alors qu'il n'y avait pas plus bruyant que ces géants de l'industrie !


Cette semaine s'est éteint le dernier haut-fourneau (haut fourneau) : quel crève-cœur pour ces hommes, excellant depuis des décennies à leur(s) rude(s) tâche(s) d'assister, impuissants à la dernière coulée.


Sur cette mélancolique image, nous te disons adieu, à toi, notre Charleroi d'antan, qui nous a tant parlé au cœur !

 

Ghislaine Dewèvre
Championne de Belgique 1972

 

Test

En ce temps d'irrationalité, nécromants, pythonisses, haruspices (aruspices), ovates en tout genre sondent l'univers chtonien (chthonien), rallument les athanors, décryptent les secrets des svastikas (swastikas) hindous et des triskèles tracées dans les palimpsestes. Les statues-colonnes, témoins de la dulie, leur inspirent une hagiographie nouvelle. Certains invoquent le Paraclet, d'autres pratiquent la goétie. Les tendances les plus diverses se côtoient : priscillianisme ou mithraïsme refont surface à côté du caodaïsme ou du raskol. Mais qu'ils soient héritiers des camaldules, des Cathares ou des wasps, tous sont en quête de mana supérieur.