Les vieux modernes

Les cours de l'Athénée royal de Leuze sitôt terminés, Chloé, malgré une chaussure délacée, courut vers la villa de ses grands-parents. Déjà, elle s'imaginait, dans l'atmosphère familiale, savourant un cake aux œufs de cane ou quelques oublies dont elle raffole. Mais surprise, déception plutôt ! Excepté les hi-han de l'âne du pré, tout était silencieux. Un chat dormait près du toboggan, les vieux tians garnis de fuchsias rouge vif étaient rangés dans le hall et, près du garage, bonne-maman accumulait des valises. Tous ces signes présageaient un départ imminent. Ses (ces) jeunes vieux - oserais-je l'oxymoron - l'abandonnaient encore ! « Plût au Ciel que ce ne fût pas vrai » pensa l'enfant.

Papy avait décidé un séjour à la Côte, quoi qu'il advînt, il partirait ! Il voulait observer les tarets dévoreurs de piliers d'estacade, ramasser des bigorneaux et pêcher de succulents palémons. Grand-mère, emmitouflée dans un pull jacquard, arpenterait l'estran à hauteur de la laisse ; à ses côtés courrait son lévrier afghan. Quelques séances de thalassothérapie constitueraient le nec plus ultra de ce séjour. (Chloé se résolut à admettre que ses grands-parents sont d'infatigables retraités). À quelque soixante on les a vus se balader, vêtus d'une veste de cheviotte dans les futaies où sévissent les tenthrèdes et les prés humides où vivent les thysanoures. Jamais ils ne se sont plaints, quelque pénibles que fussent les parcours. Ils se sont affiliés à un cercle horticole. Ils y ont appris à cultiver les jolies fritillaires mais aussi les witloofs amères et les échalotes destinées à la sauce ravigote. Bon sigisbée, grand-père conduisit son épouse à maintes brocantes. Quoique sa bourse penchât vers le négatif, grand-mère acheta des chines anciens et des prie-Dieu récents. Petit à petit, les va-et-vient des voyages se sont succédé et multipliés.

Sans qu'il y parût, Chloé ne les avait pas écoutés évoquer des odyssées dont la plupart lui étaient familières. Comme souvent elle s'était laissé aller à rêver d'une bobonne sédentaire, d'une bonne vieille au visage fripé, strié de fibrilles et qui d'une voix chevrotante lui aurait conté le passé...

Mais les temps ont changé... Grâce au progrès de l'hygiène, de la médecine, de l'organisation sociale, les personnes âgées gardent une certaine vitalité. Quels que soient leurs revenus, les loisirs qui leur sont offerts leur permettent de rester actifs. Hélas, il en existe aussi qui sont malheureux : ceux qui souffrent d'une maladie ou d'un handicap quelconque, ceux qui sont isolés ou pire, méprisés pour leur improductivité.

Fi de ces considérations philosophiques ! Voici ce que je pense avec optimisme : « Il y a peu de gens qui ont la chance de vieillir, il faut se réjouir de nos rides ! »

 

Texte de M. Depotte
revu par J. Blondeau