Un pèlerinage au Mont-Saint-Michel

 

 

La décision avait été prise à l'unanimité, quoique Michelle (Michèle), ma sœur puînée, avec son tempérament plutôt pusillanime, se montrât peu encline à la bougeotte. Étant Poissons, et encore bien du premier décan, elle eût préféré postposer l'aventure d'une demi-année pour aller fêter son saint patron précisément aux date et lieu dits ; mais quelques subtils et multiples prétextes qu'elle ait put avancer, Michelle (Michèle), semblable en cela à ces gens toujours près d'imaginer des problèmes qui iraient grandissant, s'était finalement laissé convaincre.

Il s'agissait au demeurant pour notre quatuor, à la suite d'un vœu pieux, de rallier à bicyclette cette huitième Merveille (merveille) du Monde (monde) que constitue le mont consacré à l'archange éponyme. Nous nous étions engagées, à l'instar des pèlerins du temps jadis, à ne dépenser qu'un strict minimum en route, comptant sur notre bonne mine et l'esprit philanthropique de nos hôtes occasionnels pour être accueillies dans la simplicité et la bonhomie ; que ce fût dans un hameau perdu en rase campagne ou auprès des bords hospitaliers de la Seine, l'héberge, le repas même frugal pris en commun ne nous furent d'ailleurs jamais refusés tout au long des neuf cents kilomètres et quelques que nous avions estimé avoir à parcourir.

L'avantage de notre moyen de transport consistait entre autres à jouir pleinement de la nature. Nous référant au biote potassé au préalable, nous identifiions au passage brizes, impatiens, bryones et autres gratioles, arrivées à maturité en cette arrière-saison. L'æschne et l'acidalie voletaient de fleur en fleur pour notre plus grand ravissement, et les cétoines dorées faisaient miroiter au soleil leurs élytres fasciés.

Enfin, par un de ces avant-midi aux tons mordorés, ce fut la vision prodigieuse tant attendue. Anhélant, les yeux écarquillés, nous descendîmes de nos machines pour contempler ce rocher monumental, comme enchâssé sur la mer et dominé par un monastère flanqué de hautes tourelles. Puis, longeant le Couesnon qui, selon son humeur, forme des graus et va se jeter dans la Manche soit à l'Ouest, soit à l'est du mont - et par là même, situe ce dernier soit en Normandie, soit en Bretagne -, nous suivîmes la jetée de Pontorson, seul chemin d'accès menant au but de notre équipée. Les bicyclettes déposées en lieu sûr, c'est évidemment à pied que nous eûmes le privilège de visiter le site. Passé le labyrinthe des boutiques à vocation touristique, l'abbaye présentait pour nous l'intérêt essentiel. Les moines bénédictins qui l'édifièrent aux douzième et treizième siècles firent la preuve d'une ingéniosité nonpareille : sans qu'on ait eu à les y forcer, comment, huit cents ans avant qu'on (n') inventât la cheddite ou la lyddite, ont-ils pu, aidés d'une main-d'œuvre efficace, détacher des flyschs ou de la masse rocheuse, puis transporter des blocs de granit (granite) aussi volumineux ?

Le chœur, la nef, le transept, l'abside, tout suscite l'émerveillement. Des tableaux magnifiques, tels (telles) plusieurs pietà d'époque, peuvent être encore admirés. Mais non contents d'être de brillants architectes et des moines lettrés, experts en eschatologie ou en écriture glagolitique, ils voyaient venir à eux, du fait de leur science thérapeutique, des malades souffrant de dengue, voire de lambliase, de gastroentérite, d'hectisie ou de quelque autre trouble alvin ; mais chacun, quelle que fût son apparence physique, y était accueilli avec le même esprit de charité : bon aryen, fils d'Israël au nez courbe ou Africain aux cheveux crépus, échappé de quelque galère turque. On administrait le cajeput, la cascara ou l'un ou l'autre looch adoucissant et l'infirmerie conventuelle n'avait rien à envier aux hôtels-Dieu de Beaune ou d'ailleurs.

Mais l'heure avançait. Celle de la marée montante aussi. Nous enfourchâmes derechef nos engins, et reprenions incontinent le chemin du retour quand Noémi, ma sœur aînée, se retournant soudain, s'aperçut avec terreur que cette même marée gagnait sur nous, à chaque seconde un terrain incroyable. On nous avait pourtant prévenues qu'elle montait à l'allure d'un cheval au galop...Et ce n'était pas en l'occurrence un genet allant l'aubin ! Or, le risque était grand de ne plus nous trouver sur la chaussée mais bien sur la lise traîtresse avoisinante. Nous mîmes donc le grand braquet et ce fut un sprint éperdu. Je terminai en queue de peloton mais sauvée de justesse.

Complètement trempée, tout comme mes vêtements de réserve, j'eus pour seule consolation ce mot réconfortant de ma cousine Elisabeth, arrivée au sec la première : -" Nous devons avoir les mêmes mensurations, je te prêterai mon bikini, dût l'archange m'essoriller. Quoique ... ".

 

Test pour départager les ex aequo

1. À l'approche des premiers frimas dans le Massif central, les bergers font traverser les cheires à leurs troupeaux pour regagner les jas de mas, en évitant les igues dissimulées dans le gabbro et la laccolite (laccolithe).

 

2. L'historien romain Salluste nous relate les échauffourées des guerres menées contre les Cimbres, qui parlaient le kymrique, et les Teutons, qui usaient quant à eux d'un dialecte gotique.

 

3. Hormis les francs-alleux, les seigneurs pouvaient compter sur les lods et ventes pour se constituer un revenu non négligeable, tandis que les ecclésiastiques séculiers nantis d'un celebret espéraient de leur faldistoire attitré une abbaye en commende.

 

Thierry Lause - Namur 2004
Champion de Belgique 1981
Texte relu et agrémenté par M. Alphonse Salmon