À la recherche du thème perdu

Dictée-Djote

Concours d'orthographe de Nivelles du 8 avril 2000



Ce concours fut organisé par Philippe Sanspoux à Nivelles en Belgique sous le nom original de "Dictée djote". Ce concept nouveau consistait à dicter le texte le matin et, pendant que les correcteurs s'affairaient à corriger les copies, les participants dégustaient la délicieuse tarte al djote (spécialité de la ville de Nivelles) autour d'une bonne table dans un esprit plus que convivial. Le texte inédit avait ceci de particulier qu'il faisait allusion à certains membres de l'APT ainsi qu'à leur propre personnalité. Ce fut un véritable succès malgré les difficultés énormes rencontrées dans le texte. Mais répétons-le, l'important n'est pas spécialement de faire le moins de fautes possible mais d'apprendre de nouveaux mots à chaque rencontre.

 

À la recherche du thème perdu

 

 Plût aux mânes des dictionnaristes que le foudre acéré de Jupiter ne me tombât point sur le sinciput. Me voilà enfin livrée au ban et à l'arrière-ban des sommités de l'orthographe, prête à affronter les acerbes diatribes et les cruelles épigrammes de la gens apétiste. Soyez indulgents, je le serai aussi.

Le choix d'un thème congruent fut malaisé.

J'aurais pu, pour Julien, quitter mon état de pandiculation, partir à Reykjavík, faire de la varappe avec un satrape sur l'adret d'un volcan-dôme ou d'un volcan-bouclier en dégustant des bigarreaux Napoléon sucrés, des montmorency(s) acidulées, voire des reverchons foncés. Le spectacle würmien offert par les solfatares embrumé(e)s, les mofettes, les fumerolles et les salses, les lahars séchés et les maars enneigés en aurait satisfait plus d'un.

J'aurais pu, pour Jean-Marie, entré récemment dans le cercle très fermé des grands-pères trins, savourer force glass bien remplis de gros-plant - appelé aussi folle-blanche -, de gamay, de mercurey ou de merlot.

Pour Marie-Christine, j'aurais pu prendre le petit-déj' à la cafèt' sans déc' à sept heures du mat' avec des Chinois *han, des aristos manches, fats et bath, des heimatlosats perso, de gents minots mangeottant des plums et des poulets chasseur, des books cocos bons vivants lookés pas poss.

J'aurais pu, pour Thierry, m'abriter à l'ombre des lauzes (lauses), entonner des dies irae a cappella (capella) ad libitum, réciter un Agnus Dei sous un agnus-castus. Ex professo, je ne peux qu'espérer que les analyses ex ante des errata(s) de ce texte ad usum delphini (Delphini) seront favorables aux concouristes. Après ce galimatias latin, battre ma coulpe sera nécessaire avant que vous ne m'envoyiez ab irato ad patres ad nutum ad vitam æternam.

J'aurais pu, pour Patrick, soigner mon angiocholite, mon ozène annuel, ma dysidrose (dyshidrose), mon chloasma, mon incommodant ictère, mes sprues doublées d'entérocolite(s). Il eût pu détecter un LAV - ou HIV -, ce qui m'eût rendue complètement H.S.

J'aurais pu, pour Alphonse, observer les élytres fasciés des dytiques, les vers à soie flats, les cerques pairs des gracieux (gracieuses) éphémères.

J'aurais pu, pour Arthur, me balader sur le batardeau, pêcher les blennies à la boitte dans les watergangs du plat pays qui est le sien, observer les ripple-marks ciselées sur la slikke et la moere (moëre), humer l'odeur du fraîchin. Le baes et la baesine auraient pu me renseigner sur les wateringues pendant que j'aurais siroté des faros foncés, des gueuses (gueuzes) peu colorées, des lambic(k)s fort alcoolisés, de zinzolin krieks généreusement servies, tout en dégustant des chips salées et des pitas bien garnis.
J'aurais pu aussi, flein à la main, trier les ascomycètes ou étudier leurs spores logées dans l'anthère renflée, leur asque allongé sacciforme, observer les jolies russules émétiques, les clitocybes orangés à lames décurrentes, les pholiotes étalées sous les vieux trembles, les hydnes voisinant avec les pieds-de-mouton, les psalliotes trop souvent écrasées par les taures pie.

J'aurais pu, pour Hippolyte, pardon ! pour Philippe, prendre mes appareils photo, mon reflex à obturateur à rideau, mon fish-eye, mes grands-angulaires à lentilles plan-concaves et plan-convexes et m'en aller photographier des plans-reliefs plan-plan en gros plan avec un film quatre cents asa avant de développer quelques planches-contacts.

J'aurais pu, pour René, notre président-directeur général, dont la séniorité n'est plus à prouver, concocter quelques phrases telles que: "À Rome, deux sans-grade(s), trois cent-suisses et deux cent-gardes se rencontrent devant un suisse montant la garde: c'est un anachronisme.", ou encore: " Quel étonnant sportif ! Il pratiquait à la fois du speed-sail, du softball, du racquet-ball, du horse-ball, du volley-ball, et signait des autographes avec son roller ball en regardant un match de torball."

Nous aurions pu, avec Régis et Achille, nous rendre de conserve au Nouveau Monde dans la Belle Province où j'aurais ouï avec plaisir la langue joual(e) des Néo-Québécois pendant qu'ils eussent couru la galipote dans les bleuetières avec l'affiante malengueulée râlant contre ses chaussures lousses. Une bonne poutine et des quahogs nous auraient ravigotés après une partie de soccer. Quelques beignes accompagnés d'airelles myrtilles auraient pu terminer le repas.

Pour Michel, j'aurais pu aller aux Folies-Bergère, m'installer dans un peep-show, voir des films pornos un peu hard(s), écouter du hard bop, du hard rock, ou tout simplement déambuler dans une kermesse. J'aurais pu aussi compulser son admirable poche épuisé: "Comment acquérir une super-orthographe". Une page ouverte au hasard m'aurait appris comment écrire papillote, paillote, parpaillote, péotte, palangrotte, chamotte, velvote, cheviotte.

J'aurais pu, pour Joseph, placer un encart dans un dazibao, écouter du gagaku, me passionner pour du jingxi, des joruris, des nô(s), réciter des *haïkus en *hakka, en putonghua, en gan ou en wu, jouer au go avec une geisha (ghesha) et déguster des tofus pochés dans des woks.

Mais cela eût été trop simple. Toute réflexion faite, j'ai écrit un texte à votre portée dont le thème est : ...désolée, je ne m'en souviens plus.

 

© Philippe Sanspoux - 2000
Texte révisé par Michèle Balembois-Beauchemin et Bruno Dewaele