Épître à ma feue mère

Marchin 2005 (1re dictée)

Épître à ma feue mère


Avant d'aller la rejoindre, je ne sais où ni quand, je dédie cette dictée à celle qui a déserté notre famille il n'y a pas si longtemps, puisqu'elle s'est attardée sur terre jusqu'à ses nonante-quatre carats. Sa longévité n'et pas due au bon temps qu'elle a pris ici-bas, étant donné que dans sa prime jeunesse déjà, elle pataugeait dans l'indigence accentuée par les affres simultanées de la Première Guerre mondiale et de la santé précaire de ses parents.
Paradoxalement, Maman (maman), cette mouise d'antan qui s'est incrustée dans ta houaiche pendant des décennies, tu l'as larguée au décès prématuré d'un époux quinqua, égrotant et à l'autorité inhibante.
Multipare enfantant sans dystocie(s) dans l'inconfort de la fourmilière familiale exiguë, meublée de bric et de broc, tu nous as tous quatre fait éclore sains et conformes à l'original.
Mes coups d'ire, je les tiens de mon père ; quant au peu de qualités qu'on m'a attribuées, c'est un héritage de la quintessence qui t'auréolait continûment.
Dans ton vanity-case, pas de gloss ni de kohol (khôl) ni de mascara foncé ou de blush clair, même pas de rouge à lèvres. A mes yeux, nulle houri ne rivalisait avec toi qui, durant toute ta vie sans artifice(s) et sans renfort(s) de DHEA (dhea), es demeurée nature.
Bien que tu fusses percluse de fibromyalgie, de coxarthrose ainsi que d'ostéoporose, ta silhouette ne trahissait pas ces souffrances et ton visage ne se décatissait même pas par des ridules. Mes sœurs et moi t'enviions sur ce point. Passons sur les tout derniers moments de ton parcours où, cacochyme dans ta séniorie mais jamais hypocondriaque, tu as perdu cette aura et ne gardons que l'image eidétique dont tu nous as empreints.
Comment mes fringales d'ado ont-elles toujours été assouvies ? Même pour des navets ou des panais, des timbres de rationnement étaient requis. Sans doute pour me préserver de l'asthénie, t'es-tu refusé mille et un affiquets que tu guignais un tantinet. Tu aurais pu être un cordon-bleu si notre pitance avait été moins sommaire, crise économique puis conflit mondial obligeaient, mais ce que tu cuisinais était sapide : ta soupe aux coques, myes acadiennes, les mezze disposés avec know-how, tes fettucines et tes farfalles. Mais ces mets, dont nous raffolions, nous les nommions différemment en Belgique à l'époque.
Sur le plan nourricier, ma seule fâcheuse réminiscence, ce sont les witloofs amères que je devais ingurgiter à contrecoeur et qui, à ma maturité, seront mes légumes de prédilection.
Pendant la guerre, avec un peu de farine de blé acquise à un prix exorbitant au marché noir, tu nous as préparé du pain bien boulangé, des fougasses et des crêpes dentelle. Quel régal ce jour béni des dieux là pour nos papilles sevrées de tels aliments chus dans l'oubli depuis 19440. Waouh !


Test 1


Teenager (teen-ager), j'étais vêtu de fringues standard pas du tout kit(s)ch. Comment avec le peu de moyens dont tu disposais en ces temps d'hostilités et de privation(s), as-tu pu m'habiller sans que me complexent des nippes cheap ?
Pratiquante sans être pour autant cul-bénit, aussi longtemps que tu es restée pêchue, tu étais fidèle à la messe dominicale. Aussi l'ataraxie t'a-t-elle été dispensée à temps par l'extrême-onction.
C'est moi qui étais à ton côté lors de l'ultime veillée : tu m'avais attendu pour clore définitivement tes yeux marron las, emmétropes jusqu'au dernier regard et dans ce laps de temps où tu nous échappais, je me suis revu ton moujingue dans une enfance lointaine défilant devant mes châsses embué(e)s de pleurs .


Test 2


Comme aucun trépassé ne fait son come-back, j'aime à croire que l'on se complaît dans les délices éternelles. Alors, en t'encensant sans cent sanglots, il me sied de clamer que tu as constamment prêché d'exemple dans mon existence. Je te dois bien ce remerciement réparant mes non-dits de ton vivant. A bientôt dans ta thébaïde sur l'autre rive ou, à défaut par le truchement de la métempsycose !

Test 3

(le) caryer (le) lapié (le) zoanthaire

 

© René Trépant 2005